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Matthias Pasquet :

les frictions du présent

 

Hantées par les hybridations temporelles, les oeuvres de Matthias Pasquet tissent un dialogue avec des modes de friction du présent1. Sa démarche se situe dans l’exploration d’un temps habité par la mémoire collective et individuelle. Au-delà d’une seule référence au passé, elle explore également l’anticipation d’un futur incertain redéfinissant notre temporalité commune.

 

Chez Matthias Pasquet, ce type d’exploration complexe peut investir l’archéologie et ses dispositifs matériels : ainsi son oeuvre Opération archéologie préventive créée en collaboration avec l’Inrap, où les traces du présent d’un chantier de fouille laissées par les chercheurs côtoient les traces du passé. Ceci à travers les moyens de la photographie, de l’installation et de l’exposition. D’autres séries d’oeuvres explorent la mémoire coloniale inscrite dans et sur les corps manipulés et leurs descendances (voir Depuis la peau et le projet de film CAFI). Le Vietnam et la question de l’héritage d’une histoire meurtrie par la colonisation française2 donne alors à cette expérimentation largement méditative une dimension politique qui s’exprime par une poésie de l’intime, de la subjectivité et des corps : s’y développe une poétique des objets de mémoire, ces derniers se dévoilant dans leurs aspects les plus troublants, voir spectraux, reliés aux violences sociales et historiques.

 

Ce qui est central dans la démarche de l’artiste, c’est son mode de manipulation des technologies numériques telles que la modélisation 3D (scan 3D associant mesure laser et capteur photographique), la photogrammétrie et la vidéo. Ces outils lui permettent de construire des projections spatiales dirigées vers un futur proche fait de reconstitutions faillibles. C’est en effet vers un parasitage temporel - induisant une forme d’ontologie de ces technologies de représentation numériques - que l’artiste veut nous orienter : des frictions entres zones indécises enveloppent un présent jamais réellement plein, toujours contaminé par des mémoires, des oublis3, des lacunes, mais aussi un temps à venir. Un futur possible s’y déploie, ne serait-ce que par la dimension virtuelle de la représentation comme simulation, tout en ré-interrogeant le passé transgénérationnel.

 

Ces maillages et ces stratification sensibles, propres aux oeuvres de Matthias Pasquet, s’élaborent sur des failles de représentation, des « erreurs » poétisées (voir en cela son oeuvre 369 milliards de points et ses trames topographiques constellées de « poussières » numériques spatialisées4). Les trames spatio-temporelles s’y révèlent par des entrelacements vertueux : des états intermédiaires qui désorientent notre relation à la mémoire, à l’espace-temps et à la technique, tout en interrogeant leurs fondements.

 

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1 - Nous renvoyons au livre de Wolfgang Ernst : The Contemporary Condition – The Delayed Present – Media-Induced Tempor(e)alities & Techno-traumatic Irritations of “the Contemporary”. 2017. Sternberg Press.

 

2 - Voir le livre La Colonisation des corps, De l’Indochine au Viet Nam, 2014, dirigé par François Guillemot et Agathe Larcher-Goscha. L’artiste y puise de nombreuses réflexions sur la manipulation des corps à l’âge colonial, et ses répercussions sur notre présent et à travers les générations.

 

3 - Notons la référence à Paul Ricœur, La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Le Seuil, 2000 que Matthias Pasquet intègre à l’ensemble de sa réflexion sur le temps.

 

4 -  Oeuvre réalisée en collaboration avec le Conservatoire Numérique du Patrimoine Archéologique de l’Ouest et l’entreprise Virtual Archéo.

 

 

Ludovic Bernhardt, 2022

Fragments of a hologram rose

 

Title of the show is used by permission of William Gibson author of the novel Neuromancer

 

Curatorial text written for the exhibition "Fragments of a hologram rose"

2019

Sanatorium gallery, Istanbul

Curators: Ludovic Bernhardt & Luz Blanco

 

The starting point of this exhibition which brings together eight artists of different nationalities, is the short story Fragments of a Hologram Rose written in 1977 by William Gibson. We thank its author, particularly known for his novel Neuromancer and creator of the term cyberspace, for permitting us to use the title of his short story for our exhibition, which takes a personal look at this dislocated story where poetic hallucinations contaminate communication networks.

 

In this short novel, political and narrative disorders consisting of images, kaleidoscopic fragments - all participating in a general disturbance where reality is mixed with simulacrum and words - are superimposed. The exhibition connects contemporary artworks that immerse us in a re-reading of the globalized world of information.

 

As the curators-artists of this exhibition, at first, our main idea, was to invite international artists who are important for us, asking them to consider the uniqueness of this text. Thus, the Turkish, Japanese, North American and French artists invited are positioning themselves in front of a world of machines where images, words, communication, and stories intertwine permanently, changing our apprehension of reality. They freely interact with the complexity of the text and its many striking narrative fragments very close to the “cut-up” creative process experimented by Brion Gysin and William Burroughs in the sixties.

 

By exhibiting artworks steered around an autonomous literary experience, we think that art and literature have something crucial to share, beyond the misleading semiotics aspects. We assert that we can enjoy a touch of literature within a 21st century’s art work, whether it uses shapes, images, or words, as raw material. A dialogue - as a hybrid experience -  is possible, without any borders restrictions: it seems to us that contemporary literature is a field of reflection for artists, just as contemporary art could endeavour to be “read” by writers and novelists; difficult interchange, sometimes risked, which deserve attempts, bid of junctions, as many artists and movements like Fluxus did. William Gibson belongs to this family of writers inhabited by the contamination of the literature by art and images, and vice versa.

 

Maurice Blanchot, in his book The Space of Literature, published in 1955, raises the idea of the trans-mutationnal nature of words, linked to their iconic spectrums. He talks about the necessity, which determines the efforts of the writer, “that he belongs to the shadow of events, not their reality, to the image, not the object, to what allows words themselves to become image, appearences - not signs, values, the power of truth.”

Not far from this acception, our exhibition invite to interface two worlds, an artwork being not reducible to its nature of sign neither of object.

 

To be more engaged in the nature of each artwork, we propose an exhibition made of fragments, of parts released from an inexistent entirety: each image constitutes a partial shadow of an impossible totality, a fragmentary moment of a cataclysmic narrative, a composite fraction of an exhibition that will never be a homogeneous whole. We present pieces connected by a certain contagion induced by their confused and blury nature. Thus, they could be at the same time literary and visual: they explore literary fragments that, side by side, develop a type of narrative to rearticulate, where the words intimately cohabit with their counterpart, images. The exhibition documents an energy conveyed by heterogeneous works that reflect, not only our culture and our society but also critical relations with our present which is decidedly part of a “Gibsonian” space.

 

Ludovic Bernhardt

April 2019, Paris/Istanbul

Fragments of a hologram rose

Le titre de l’exposition a été utilisé avec la permission de William Gibson.

 

Texte curatorial écrit pour l'exposition "Fragments of a hologram rose"

2019

Sanatorium gallery, Istanbul

Curateurs : Ludovic Bernhardt & Luz Blanco

 

La nouvelle « Fragments de rose en hologramme » écrite en 1977 par William Gibson, est le point de départ de cette exposition qui réunit huit artistes de différentes nationalités. Nous remercions son auteur particulièrement reconnu pour son roman « Neuromancien » et inventeur du terme cyberespace, d’avoir accepté que nous utilisions le titre de sa nouvelle pour cette exposition, laquelle, au travers de chaque artiste, porte un regard personnel sur ce récit disloqué où des hallucinations poétiques contaminent les réseaux de communication. Dans ce court récit se superposent désordres politiques et narratifs constitués d’images, de fragments kaléidoscopiques, le tout participant à une perturbation générale où la réalité côtoie le simulacre.

 

L’exposition met en relation des œuvres contemporaines qui nous immergent dans une relecture du monde de l’information globalisée. Les artistes turcs, français, japonais et nord américains se positionnent face à un monde où images, communications et récits s’entrelacent de manière permanente, modifiant notre appréhension de la réalité. Ils dialoguent librement avec la complexité du texte « Fragments de rose en hologramme » et ses nombreux fragments narratifs saisissants très proches du « cut-up », processus avant-gardiste expérimenté par Brion Gysin et William Burroughs au cours des années soixante.

 

En exposant des œuvres orientées autour d’une expérience littéraire autonome, nous pensons qu’Art et Littérature ont quelque chose de crucial à partager, au-delà des apparences sémiotiques trompeuses. Nous affirmons l’idée qu’il y a de la littérature dans une œuvre d’art contemporaine, que celle-ci utilise des formes, des images ou des mots comme matière première. Un  dialogue - comme expérience hybride - est possible, et cela sans restrictions de frontières : il nous semble que la littérature contemporaine peut être est un terrain de réflexion pour les artistes, de la même manière que l’art contemporain peut s’efforcer d’être « lu » par les écrivains ; échange difficile, parfois risqué, qui mérite essais, tentatives de jonctions et échanges comme ont pu le faire de nombreux artistes et mouvements tel Fluxus. William Gibson appartient à cette famille d’écrivains habités par la contamination de la littérature par l’art et l’image, et vis versa.

 

Maurice Blanchot, dans son livre « L’espace littéraire » publié en 1955, rend bien compte de la nature trans-mutationnelle des mots et de leurs redites, reliés à leurs spectres iconiques. Il parle de la nécessité pour l'écrivain « d’appartenir à l’ombre des événements, non à la réalité, à l’image, non à l’objet, à ce qui fait que les mots eux-mêmes peuvent devenir images, apparences – et non pas signes, valeurs, pouvoir de vérité. » C’est bien dans cet esprit que l’exposition invite à relier deux mondes, une œuvre n’étant aucunement réductible à sa nature de signe ni d’objet.

 

Pour être plus engagés dans la nature de chaque oeuvre, nous proposons une exposition faite de fragments, de parties dégagées d’un tout inexistant : chaque image constitue une ombre partielle d’une totalité impossible, un moment parcellaire d’une narration cataclysmique, une fraction composite d’une exposition qui ne sera jamais un ensemble homogène. Nous présentons donc des œuvres reliées par une certaine contagion induite par leur nature trouble, se voulant à la fois narratives et visuelles : elles explorent des fragments littéraires qui, mis côte à côte, développent un type de récit à ré-articuler, le texte venant intimement cohabiter avec son pendant, l’image.

 

L’exposition documente une énergie véhiculée par des œuvres hétérogènes qui reflètent, non seulement notre culture et notre société, mais également des relations critiques avec notre présent résolument inscrit dans l’espace « Gibsonien ».

 

Ludovic Bernhardt

Paris / Istanbul, 2019

HYPHOLOGY

 

Curatorial text written for the exhibition Hyphologie

2013

Sanatorium gallery, Istanbul

Curators: Ludovic Bernhardt & François Ronsiaux

 

The exhibition Hyphologie brings together artists whose works are strongly marked by the interpretation of the nature of media, sign and image. We have detected in all exhibited works a research on transformations and uses of signs in a context of a society largely inhabited by the recovery of the real through the image. This broad question about the sign replacing or merging with the real obviously takes various forms.

 

Following the intellectual and artistic itinerary of Duchamp, we have learned that the art work is primarily a creative and reasoning process. With this artist, the moderation of means is claimed; a certain plastic coldness is assumed in order to involve routes rather than results. The art work, above all communicative and reflexive, is not anymore this warm and sensual expression or meditation that captivates the viewer with its final state, but a semiotic residue of these routes leading to the artistic result. It tends to a scarcity of the material and to a withdrawal of all the pageantry, and consequently to a kind of Jansenist conception of the sign*, the latter leading us to this complexity belonging to the reversals, both opaque and transparent, of its nature.

 

We must therefore admit that some atheist Jansenist sensitivity pervades in works presented in this exhibition; because finally, we note a dose of mistrust, even skepticism, regarding the nature of art. Indeed, thinkers of Port-Royal much mistrusted art, believed to aim at the sole seduction of senses: "the more you give to senses, the more you take away from the spirit." And painting gives a lot to senses; this potentially leading us to stop our look at the creature although this look should only consider the inside. Furthermore, art threatens to deceive since it provides simulacra without consistency of objects themselves unimportant, which may divert from the sobriety being requested. The art is therefore rejected to the level of human vanities. So the artist with Jansenist sensitivity will try to achieve sobriety in his work by resisting to the much obvious seduction of art, however without neglecting a possibility of dialogue with illusion or unmasked fiction.

 

The cold sign

 

Among the artists featured in this exhibition, a strong sensitivity is expressed towards types of cold environment. These environments, these ambiances or these objects - mediated through photographs, videos, montages, graphs, maps, texts, paintings, etc... - are themselves connected with signs of "cold" type. We have this strange feeling that mediums and objects presented are perfectly in tune through their “cold” connections. Thus, the nature of these works is to identify a cold identity in a semiotic, metaphorical and sensitive sense.

 

The concept of hot and cold media by McLuhan is quite different: it takes into account the degree of participation of the receiver and the quality of the definition of the media. For McLuhan, the receiver is connected to a qualitative dimension of the media. The media is seen as a technique interacting with its receptors and offering a more or less rich communicative nature. Thus, according to him, television is a cold medium and cinema is a hot medium. As a cold media, television requires a significant participation from the viewer in order to balance the qualitative poverty of this media object that appeals to many senses.

 

In a different way than McLuhan, we understand by the word cold a particularly immobile state of things, a kind of icy penetration of objects or environments. This concerns a type of work fully inhabited by the ideologically frozen accesses of our techno scientific and media society. **

 

The artists of Hyphologie, each in their own way, negotiate a critical dialogue with the cold nature of the sign. Here, it is not a lack of sensitivity or a low communicational scope, on the contrary, it is a real critical tool of what is shaping our social environment.

 

Paintings by Erdem Ergaz depict some sanitized techno scientific areas, submitted to a linear abstraction where stiff characters with disembodied figures are evolving. The techno scientific coldness competes with a will to anchor the look into an imaginary of science fiction.

A neuropsychological transplant identifies a type of relationship between man and his environment; we can also establish a strong link between the fantasies of disaster of our anxiogenic society and the exploration of signs that govern our environments. In the artistic configuration of Can Ertaş, we also find a clean and sanitized graphic axis, both industrial and postindustrial, close to a concrete or optical minimalist environment. For this artist, the media is deliberately reduced to its pure technical and graphic expression: a disembodied repetition of shapes and optical effects connected to a cold - and often socially named - techno industrial context. In the work of Société Réaliste, mediums that compose the typography and the graphic language are fully in line with the critical deconstruction of a kind of social and political freezing. The generic identity codes of the nation states and global institutions are governed by this freezing state of the political and of the sign. It is partly the language of the power that Société Réaliste tries to deconstruct by the signs. Yağız Özgen questions the nature of the art work through a simulation exercise called 3D by revealing the structure of a box of standard fluorescent tubes. A bit like painters of the seventeenth century who represented in trompe l'oeil the rear frame of the canvas, Özgen questions this hidden part of the art work reduced to a light box. However, this work is a computer graphics simulation and it practices an extremely driven art of illusion (it looks like a photograph). We are living in a striking paradox by facing this unveiling / simulation situation of an art work able to be transparent to itself but also totally opaque, as a pure simulationist screen. The work of François Ronsiaux is a long and continuous process of recordings and fossilization of fictional territories immobilized by the photographic manipulation and the fantasy of a global ecological disaster. Like Ergaz, he plunges his photographic eye into collective representations of doom that are anxiogenic, futurist and specific to a new ice age.  Stefane Perraud focuses his artistic practice into issues about sensitive representation of geophysical elements, particularly imposing, if not monstrous. The artist proposes to represent seismic and underground fault lines in a delicate way. In Ligne de Faille, Stefane Perraud paints a geological portrait of some earthquakes that hit our planet. The work of Kerem Ozan Bayraktar concerns how to transcribe through a kind of visual code, a dazzling poem, a kind of minimalist haiku, containing an evocative power. The aim is to experiment poetry through a cold and technical sign (a printed acoustic wave) which records the sound frequency of the poetry phenomenon. For Bayraktar, it means to circulate through improbable codes of poetic transcription. The collective Art of failure offers a highly ironic reading on the defects of the pseudo-scientific representation and its poetic scope. The work of French artists proposes a visual and sound exploration of what constitutes the matter of images and sounds. In their piece, Earth to disk, the collective is exploring the sound interpretation of a visual projection about the elevation of the earth on two vinyl discs. It is a kind of poetic stethoscope, which plunges us into a medieval, ancient (Thales) and archaic thought, blurred compared to our pathological need for knowledge and truth. Closer to a regressive community - the Flat Earth Society - stands for the position of the artist preferring poetic ignorance to a cognitive certainty: radical skepticism towards the signs of knowledge by lowering the world to a common flat disk. Finally Ludovic Bernhardt offers a concentric diagram (a kind of mandala or a New Age mediation support) consisting of chemical drugs boxes; the techno medical field is here associated with the field of meditative sign (yantra) in a kind of "techno mystical" way we could say. This diagram is associated with world maps transformed into Rorschach blot.

 

Thus, these artists approach art with a sense of surgical precision (surgery, in ancient Greek kheirourgia, which means manual, artistic or craft work) with removing any attempt of sensuality. The media is graphic rather than plastic, technical rather than expressive, alienating senses rather than exacerbating them. Yet this calculated coldness is also the media of a chaotic heat in our own contemporary world: as we see it with Ergaz and Ronsiaux, but also with Ertaş and Société Réaliste, social and political disorders, individual alienations, real or allegorical disasters are the counterparts of a frozen world that feeds their imagination.

 

A journey through the signs

 

Since Baudrillard, we have been used to consider things as confused with their image. We know it, in a media-dominated society where simulations establish an altered relationship with reality, everything tends to become a sign, and any real merges with its image, the thing even tending to disappear behind its image. We can also note that the thing reduced to the sign is then expelled from its context, detached from any solidarity with its original site. With no more solidarity with its habitat, it is then deprived of reality and context; the unbridled consumerism of signs, images and signals eliminates contexts, reference points and involvements in a concrete site and in the thickness of the real.

 

Cartography is certainly a representation widely explored by artists willing to deepen their relationship with the sign, stripped of any location into a real territory or a real context. Alternatively, the work of Erdem Ergaz, that represents a disembodied iconic environment, explicitly tackles the issue of dematerialization: architecture, spaces, signs and bodies undergo a dematerialization close to an anxiety-generating utopia-dystopia that refers to a particular psychological universe. No thickness, no tangibility; everything is disembodied. The psychic and nervous network is completely connected to that of a dematerialized environment. But this disembodiment do not fantasize any increase of reality, it rather explores the notion of psycho environmental risk specific to this defect of reality. The space reduced to a sign and the psychological dimension are connected to a level where the sensitive disappears. This disappearance announces a risk of the mind confusing with the immaterial representation of the sign and of the space, announcing an intense cognitive exploration.

 

Finally the artists of Hyphologie confront each their views with certain knowledge of the nature of the sign named "cold", thus we see evolving some "polar" explorations located between the action of artists and their environment. Contemporary artists, real "semionauts" as defined by Nicolas Bourriaud, "sail through the signs and connect a sign to another… most of what it is producing is the course itself." Here, the artist is a sign surveyor and the sign invades his exploration land.

 

However, the journey of the semionaut is also a kind of medical exploration, it is an adventure, a journey certainly, but also a medical semiology adapted to signs themselves. Traveler and doctor at the same time, examinator of the sign itself and of its symptoms, the artist probes the texture of the sign in order to extract clues, not to cure, but rather to diagnose.

 

The skepticism of the artist towards the sign is a clear sighted and manipulative defiance of the artist daily immersed into the texture of signs.

 

Ludovic Bernhardt

 

*In the Port-Royal Logic (1662) by Antoine Arnauld and Pierre Nicole, both Port Royal grammarians. This work was taken as a crucial contribution to the construction of the concept of episteme by Foucault in The Order of Things. The sign is examined as an object of study with an analytical and abstract method.

 

**We particularly refer to the reflection of Adorno and Horkheimer on the alienation of senses in The Dialectic of Enlightenment and Habermas' analysis in Technology and Science as Ideology.

HYPHOLOGIE

 

Texte curatorial écrit pour l'exposition Hyphologie

2013

Galerie Sanatorium, Istanbul

Curators: Ludovic Bernhardt & François Ronsiaux

 

L’exposition Hyphologie confronte des artistes dont le travail est fortement marqué par l’interprétation de la nature des medias, des signes et des images. Nous avons cru déceler, dans l’ensemble des pièces exposées, une recherche sur les transformations et les utilisations des signes dans un contexte de société largement habitée par le recouvrement du réel par l’image. Cette vaste question du signe se substituant au, ou bien se confondant avec le réel, prend évidemment des formes multiples.

 

En suivant le parcours intellectuel et artistique de Duchamp nous avons appris que l’oeuvre d’art est avant tout un processus de création et de raisonnement ; chez cet artiste la modération des moyen est revendiquée, une certaine froideur plastique est assumée, afin de mettre en jeu des parcours plutôt que des résultats. L’oeuvre, avant tout communicationnelle et réflexive, n’est plus cette chaleureuse et sensuelle expression ou méditation qui subjugue le regardeur dans son état final, mais un résidu sémiotique de ces parcours qui mènent au résultat artistique. Elle tend à une raréfaction de la matière et à un retrait de ses apparats, donc à une sorte de conception janséniste du signe*, ce dernier nous menant vers cette complexité propre aux renversements à la fois opaques et transparents de sa nature.

 

Il faudra donc admettre qu’une certaine sensibilité janséniste habite les oeuvres présentées dans cette exposition ; car enfin, nous notons une dose de méfiance voir de scepticisme visant la nature de l’art. En effet les penseurs de Port-Royal se sont beaucoup méfiés de l’art, soupçonné d’avoir pour fin la seule séduction des sens : « plus on donne aux sens, plus on ôte à l’esprit ». Et la peinture donne beaucoup aux sens, risquant ainsi d’arrêter sur la créature un regard qui ne doit porter que sur l’intériorité. De plus, l’art menace de tromper, puisqu’il offre des simulacres sans consistance d’objets eux-mêmes sans importance, ce qui risque de détourner du dépouillement recherché : L’art est donc recalé au rang des vanités humaines. Alors l’artiste, à la sensibilité janséniste, tentera d’atteindre un dépouillement de son oeuvre en résistant à la séduction trop évidente de l’art, sans toutefois négliger une possibilité de dialogue avec l’illusion ou la fiction démasquée.

 

Le signe froid

 

Chez les artistes présentés dans le cadre de cette exposition, une forte sensibilité s’exprime vers des types d’environnement  froids ; ces environnements, ces ambiances ou bien ces objets, - médiatisés par des photographies, vidéos, montages, graphiques, cartographies, textes, peintures, etc. - sont connectés eux-mêmes à des signes de type « froids ». Nous avons cette curieuse impression que médiums et objets présentés entrent parfaitement en résonance au moyen de leurs connexions « froides ». Ainsi, la nature de ces œuvres est de cerner une identité  froide dans un sens à la fois sémiotique, métaphorique et sensible.

 

La notion de media froid et de media chaud de M. McLuhan est, quant à elle, différente : elle prend en compte le degré de participation du récepteur et la qualité de la définition du média. Pour McLuhan le récepteur est donc connecté à une dimension qualitative du média ; le média est considéré comme une technique interagissant avec ses récepteurs et proposant une nature communicative plus ou moins riche. Ainsi, selon lui, la télévision est un medium froid et le cinéma un médium chaud. Le media froid qu’est la télévision demande une participation importante du spectateur afin d’équilibrer la pauvreté qualitative de cet objet médiatique qui fait appel à plusieurs sens.

 

D’une manière différente de Mc Luhan nous entendons par froid un état particulièrement  immobile des choses, une sorte de pénétration glacée des objets ou des environnements. Ceci concerne un type d’oeuvre totalement habité par les accès gelés idéologiquement de notre société technoscientifique, et médiatique**.

 

Chacun à leur manière les artistes d’Hyphologie négocient un dialogue critique avec la nature froide du signe. Ce n’est pas ici une absence de sensibilité ou une faible portée communicationnelle, au contraire, mais un véritable outil critique de ce qui forme notre ambiance sociale.

 

Ainsi les peintures d’Erdem Ergaz mettent en scène des espaces technoscientifiques aseptisés, soumis à une abstraction linéaire où évoluent des personnages raides, aux silhouettes désincarnées. La froideur technoscientifique rivalise avec une volonté d’ancrer le regard dans un imaginaire de Science-fiction. Une greffe neuropsychologique identifie un type de relation entre l’homme et son environnement ; nous pourrions également établir un lien profond entre les fantasmes de catastrophe de notre société anxiogène et l’exploration des signes qui régissent nos environnements. Dans la configuration artistique de Can Ertas, nous trouvons également un axe graphique épuré et aseptisé, à la fois industriel et postindustriel, proche d’un environnement minimaliste concret ou optique. Chez cet artiste, le media est volontairement ramené à sa plus pure expression graphique et technique. Une répétition désincarnée de formes et d’effets optiques, reliés à un contexte techno-industriel froid et souvent socialement nommé. Dans le travail de Société Réaliste les mediums que constituent la typographie et le langage graphique sont en totale adéquation avec la déconstruction critique d’une sorte de congélation sociale et politique. Les codes identitaires génériques des Etats-nations et institutions mondiales sont régis par cette congélation du politique et du signe. C’est en parti le langage du pouvoir que Société réaliste tente de déconstruire par les signes. Yagiz Özgen, quant à lui, interroge la nature de l’image et de l’oeuvre d’art par un exercice de simulation dite 3D, dévoilant la structure d’une boîte de tubes fluorescents standards. Un peu comme ces peintres du XVIIe siècle qui représentaient en trompe l’oeil le châssis arrière de la toile, Özgen interroge cette partie cachée de l’oeuvre réduite à une boîte à lumière. Cependant cette oeuvre est une simulation infographique et pratique un art de l’illusion (elle ressemble à une photographie) extrêment poussé. Nous vivons donc un paradoxe saisissant face à ce dévoilement / simulation d’une oeuvre capable d’être transparente à elle-même et à la fois totalement opaque, puisque pur écran simulationiste.  Le travail de François Ronsiaux est un long et continu processus de captations et de fossilisation de territoires fictionnels immobilisés par la manipulation photographique et le fantasme d’une catastrophe écologique globale. Comme Ergaz il plonge son regard photographique dans des représentations collectives de fin du monde, anxiogènes et prospectivistes, propre à une nouvelle ère glaciaire. Stefane Perraud oriente sa pratique artistique vers des questions de représentation sensible d’éléments géophysiques particulièrement imposants, pour ne pas dire monstrueux. L’artiste propose de représenter des lignes de faille, sismiques, souterraines, d’une manière délicate. Dans Ligne de Faille, Stéfane Perraud dresse un portrait géologique de certains séismes qui ont touché notre planète. Aussi le travail de Kerem Ozan Bayraktar qui s’intéresse à la manière de retranscrire par une sorte de code visuel, un poème fulgurant, une sorte d’haiku minimaliste, contenant une puissance évocatrice. Le tout étant d’expérimenter la poésie à travers un signe froid et technique (une onde acoustique imprimée) qui enregistre la fréquence sonore du phénomène poétique. Il s’agit pour Bayraktar de circuler dans des codes improbables de la transcription poétique. Le collectif Art of failure propose une lecture éminemment ironique sur les défauts de la représentation pseudo-scientifique et à la fois ses portées poétiques. Le travail des artistes français propose une exploration visuelle et sonore de ce qui constitue la matière des images et des sons. Dans leur pièce Earth to disk, le collectif d’artistes explorent l’interprétation sonore d’une projection visuelle de l’élévation de la terre sur deux disques vinyles. Sorte de stéthoscope poétique, qui nous plonge dans une pensée médiévale, antique (Thalès), archaïque, trouble par rapport à notre goût pathologique pour la connaissance et la vérité. Plus proche d’une communauté régressive - la Flat Earth Society - est la position de l’artiste préférant l’ignorance poétique à la certitude cognitive : scepticisme radical vis-à-vis des signes de la connaissance en rabaissant le monde à un vulgaire disque plat. Enfin Ludovic Bernhardt propose un diagramme concentrique (sorte de mandala ou de support de méditation New age) formé de boites de médicaments chimiques ; le domaine techno médical est ici associé au domaine du signe méditatif (yantra) d’une manière « techno mystique » pourrait-on dire. Ce diagramme est associé à des cartes du monde transformées en tache de Rorschach.

 

Ainsi, ces artistes abordent l’art avec un sens de la précision chirurgicale (chirurgie, du grec kheirourgia, qui veut dire travail manuel, artistique ou artisanal) en évacuant tout tentative de sensualité. Le média est graphique plutôt que plastique, technique plutôt qu’expressif, aliénant les sens plutôt que les exacerbant. Et pourtant, cette froideur calculée est aussi le media d’une chaleur chaotique propre à notre monde contemporain : comme nous le voyons avec Ergaz et Ronsiaux, mais aussi avec Ertas et Société réaliste, les désordres sociaux et politiques, les aliénations individuelles, les catastrophes réelles ou allégoriques, sont les pendants d’un monde congelé qui nourrit leur imaginaire.

 

Un voyage à travers les signes

 

Nous avons pris l’habitude depuis Baudrillard de considérer les choses comme confondue avec leur image. Nous le savons, dans une société médiatique où les simulations instaurent un rapport au réel modifié, tout tend à devenir signe, et tout réel fusionne avec son image, la chose ayant même tendance à disparaître derrière son image. Nous pouvons aussi remarquer que la chose réduite au signe est alors expulsée de son contexte, détachée de toute solidarité d’avec son site original. Plus de solidarité avec son habitat : elle est alors privée de réalité et de contexte ; la consommation effrénée des signes, images, signaux fait disparaître les contextes, les référents et les inscriptions dans un site concret et dans l’épaisseur du réel.

 

La cartographie est certainement une représentation largement explorée par certains artistes désireux d’approfondir leur relation au signe dépouillé de toute implantation dans un territoire ou contexte réel. D’une autre manière, le travail d’Erdem Ergaz qui représente un environnement iconique désincarné, aborde explicitement la question de la dématérialisation : architectures, espaces, signes, corps subissent une dématérialisation proche d’une utopie-dystopie anxiogène qui renvoie à un univers psychologique particulier. Aucune épaisseur, aucune tangibilité ; tout se désincarne. Le réseau psychique et nerveux est totalement branché sur celui de l’environnement dématérialisé. Mais cette désincarnation ne fantasme aucunement une augmentation quelconque de réalité, elle explore plutôt la notion de risque psycho environnemental propre à ce défaut de réalité. L’espace réduit à un signe, ainsi que la dimension psychologique sont connectés à un niveau où le sensible disparaît. Cette disparition annonce un risque du mental se confondant avec la représentation immatérielle du signe et de l’espace, annonçant une exploration cognitive intense.

 

Finalement les artistes d’Hyphologie confrontent chacun leur point de vue avec une certaine connaissance de la nature du signe dit « froid » ; nous voyons ainsi évoluer des explorations « polaires » situées entre l’action des artistes et leur environnement. Les artistes contemporains, véritables sémionautes comme l’a défini Nicolas Bourriaud, « naviguent à travers les signes, et relient un signe à un autre… l’essentiel de ce qu’il produit, c’est ce parcours lui-même ». En cela l’artiste est un arpenteur du signe lequel envahit son territoire d’exploration.

 

Néanmoins le voyage du sémionaute est également une sorte d’exploration médicale ; c’est une aventure, un voyage certes, mais également une sémiologie médicale adaptée aux signes eux-mêmes. Voyageur et médecin à la fois, ausculteur du signe et de ses symptômes, l’artiste sonde la texture du signe afin d’en extirper des indices, non pas pour soigner, mais plutôt pour diagnostiquer.

 

Le scepticisme de l’artiste vis-à-vis du signe constitue une défiance clairvoyante et manipulatoire de l’artiste plongé quotidiennement dans la texture même des signes.

 

Ludovic Bernhardt, 2013

 

*Dans la Logique de Port-Royal de 1662, ouvrage d’Antoine Arnauld et Pierre Nicole grammairiens de Port Royal, ouvrage pris comme apport crucial dans la construction de l’episteme par Foucault dans Les mots et les choses, le signe est décortiqué comme objet d’étude, à l’aide d’une méthode analytique et abstraite.

 

** Nous nous référons en particulier à la réflexion d’Adorno et Horkheimer sur l’aliénation des sens dans La dialectique de la raison ( Dialectic of Enlightenment ), et l’analyse d’Habermas dans La science et la technique comme idéologie.

NEWS FROM NOWHERE

 

Text written for the Luz Blanco's solo exhibition

Sanatorium Gallery, Istanbul

June 2016.

 

"It is failure that guides evolution; perfection offers no incentive for improvement."

Colson Whitehead (1999)

 

The title of William Morris’ novel News from Nowhere (1890) evokes the idea of wandering in a place that does not exist. By giving way to sleep and dream, the narrator may invent his own utopian society in the form of a communitarian and creative socialism. Morris’ title also opens onto another utopia: that of bringing news from a non-existing place that is nevertheless filled with memories.

 

How to bring memory to the fore from a “nowhere” by affirming that such a nowhere has some kind of reality? This could be the obvious paradox Luz Blanco has been exploring for many years through a continued practice of drawing. In William Morris’ novel, the title refers to the idea of utopia while for LB it encompasses a memory-related utopia directly linked to oblivion. Her work, which presents the memory of forgetfulness as a fundamental dialectic of the process, is at the core of her singular graphic investigation. In his Confessions Saint-Augustine articulated an essential framework for thoughts as an approach to the complementarity of these two apparently opposite terms.

 

In the same manner, Luz Blanco’s graphics are composed of drawn dotted or linear traces and are thus a form of archaeology of images and their memory, tracing residues of iconic shapes from uncertain personal origins.

 

Like an archaeologist, the artist searches the surfaces of images analysing their lines, pixels and dots, analysing what constitutes their shape and surface, not to say their depth. Out of such primeval force, crypto-graphics of some sorts – set in between the return journey towards the past and the imagining of a future – has us witness a truly mysterious endeavour; the artist uses her hand as a substitute for the machine, simulating a technical drawing, at once electronic and archaic, which announces the finiteness of the era brought about by the current digital technology revolutions.

 

The term “post-digital”, as used by Kim Cassone in The Aesthetics of Failure: "Post-digital" Tendencies in Contemporary Computer Music, refers to this movement in music and more widely to the related aesthetic thought that postulates errors, failures, residues and noise as cracks within the digital paradigm. This post-digital aesthetics is clearly visible in Luz Blanco’s work, and one may refer to her Soft Error solo exhibition in Paris in 2015. Her lines, her scripts are the archaeological survey of digital images; in some way the lost thread from that bygone era is rebuilt through her drawings. For what has been voluntarily forgotten here – or what has already disappeared – is our connection to artificial memory; that other utopia which pretends that the world’s memory is summed up in the giga-bytes of computer memory and in overwhelming datacentres. The inherent fragility of the all-powerful artificial memory seems to seep in the cracks and the blanks generated in these drawings; the artist integrates vacuums and fragmentations in the image; she takes apart its unity in a process of crumbling and pixelation; she leverages its faults and shapes to interrogate her oversights and her memory, redrawing by hand its grid of dots. From these faults, directed at a post-digital future, the viewer may perceive an evolving introspective endeavour. Luz Blanco explores forgotten images that reveal something out of her own past in a search directed at the future.

 

“Nowhere” is thus a place of memory and a place of oblivion. It exists within its own absences. There is a “nowhere” somewhere, in and out the image. A place of presence and absence; (Heidegger in Paths That Lead Nowhere approached this notion through philosophy of art). Luz Blanco’s images are haunted by their disappearance; in the same way that historical or personal memory is inherently fragile… Her goal is to retrace their remnants to avoid them vanishing permanently while admitting that they are mere traces.

 

Ludovic Bernhardt, 2016

 

 

NEWS FROM NOWHERE

 

Texte écrit pour l'exposition personnelle de Luz Blanco

Galerie Sanatorium, Istanbul

Juin 2016.

 

"It is failure that guides evolution; perfection offers no incentive for improvement".

Colson Whitehead (1999)

 

 Le titre du roman écrit par William Morris News from nowhere (1890) évoque l’idée d’un voyage dans un lieu qui n’existe pas. L’abandon au sommeil et au rêve, permet au narrateur d’inventer sa société utopique, dans la forme d’un socialisme communautaire et créatif. Ce titre est aussi la possibilité d’une autre utopie : celle d’apporter des nouvelles d’un lieu qui n’existe pas, d’un voyage ou d’une expérience sans lieu, et pourtant remplie de mémoires.

 

Comment faire émerger de la mémoire à partir d’un nulle-part, en affirmant que ce nulle part possède une certaine réalité ? Voilà peut-être le paradoxe apparent qu’explore LB depuis plusieurs années par une pratique assidue du dessin. Si le titre renvoie à la notion d’utopie chez William Morris, il englobe chez LB une utopie mémorielle reliée directement à l’oubli. En effet ce travail posant la mémoire de l’oubli comme dialectique fondamentale de ce processus, forme le moteur d’une recherche graphique particulière. Saint Augustin, dans ses Confessions, fournit un cadre de pensée incontournable pour aborder cette complémentarité entre les deux termes apparemment opposés.

 

Ainsi, les dessins de Luz Blanco constituent-ils une sorte d’archéologie de l’image et de sa mémoire, traçant - puisque le graphique est ici un relevé de traces linéaires et pointillées - des résidus de formes iconiques aux sources personnelles incertaines. Comme une archéologue, l’artiste fouille les surfaces de l’image par l’analyse de ses trames, pixels, points, de ce qui constitue sa forme et sa surface, pour ne pas dire sa profondeur. De cette archè (origine), une forme de crypto-graphisme - située entre le retour vers le passé et l’imagination d’un futur - nous fait assister à une activité réellement mystérieuse ; l’artiste, substitue sa main à la machine, en simulant un tracé technologique, à la fois électronique et archaïque, qui annonce la finitude de l’ère des révolutions du paradigme numérique dans lequel nous vivons.

 

Le postdigital en suivant Kim Cassone (The Aesthetics of Failure: "Post-digital" Tendencies in Contemporary Computer Music.) est ce mouvement musical, mais plus largement cette pensée esthétique, qui postule que l’erreur, l’échec, le résidu, le bruit constituent les fissures du paradigme numérique. Chez l’artiste nous voyons bien cette esthétique postdigitale mise à l’œuvre. (voir l’exposition Soft error de luz Blanco à Paris). Le tracé, la graphie, sont arpentage archéologique de l’image numérique ; d’une certaine façon le dessin vient tenter de reconstituer le fil perdu de cette ère disparue. Car, ce qui est volontairement oublié ici - ou bien ce qui a déjà disparu - c’est notre lien à la mémoire artificielle, cette autre utopie qui voudrait que la mémoire du monde se résume aux giga-mémoires numériques, aux datas center écrasants. Une fragilité inhérente à la toute puissance de mémoire artificielle semble s’immiscer dans les fêlures ou les absences générés dans ces dessins ; l’artiste intègre des vacuum et des fragmentations dans l’image ; elle disloque son unité par des jeux d’émiettement et de pixellisation ; elle travaille avec les failles et les découpes afin de questionner ses oublis et sa mémoire en retraçant sa trame à la main. De ces failles dirigées vers un futur postdigital, nous pouvons deviner qu’un travail introspectif est en évolution. Luz Blanco explore des images oubliées qui lui révèlent quelque chose de son propre passé par une prospection dirigée vers l’avenir.

 

Le “nulle part” est  donc un lieu de mémoire et d’oubli. Il existe dans ses absences. Il y a un nulle part quelque part, dans et en dehors de l’image. Un lieu de présence et d’absence ; (Heidegger abordait cette notion par la philosophie de l’art dans Chemins qui ne mènent nulle part ). Les images de LB sont hantées par leur disparition, de la même manière qu’une mémoire historique ou personnelle est intrinsèquement fragile... Son but : retracer leurs vestiges pour éviter qu’elles ne s’envolent définitivement, tout en admettant que ce ne sont que des traces.

 

Ludovic Bernhardt, 2016

 

 

 

 

NOSTOMANIA

 

Text written for Erol Eskici's exhibition, Nostomania

2015

Galerie Sanatorium, Istanbul

 

Erol Eskici’s work can be deciphered as a discrete word, pronounced implicitly, away from sweetened uproars in art. It contains many secret noises pertaining to a slightly narrative and often enigmatic vocabulary like that of a child. When the viewer approaches the rustling, a loud darkness appears; it is a muted noise, both near and far, caused by invisibility itself, opposed to social fact and its infinitely oppressive structures. Thus there is, no doubt, a political statement within this density, orchestrated by the game of light and shadow.

 

Let us take the set of portraits from “Construction of Generation – Subjects” series as an example. This work is based on the use of student photographs collected from a yearbook from the 80’s. From this, Erol Eskici develops a gallery of painted portraits, anchored in the recent past of the Turkish nation loaded with ideology. The choice of this yearbook is caused by the artist’s political substratum; it is an effective weapon of nationalism overwhelming the youth. The uniqueness of these images stem from the cutouts, the holes made by the artist on the faces of the children pinned down by the institution. These gaps are abysses in which the viewer and the subjects are isolated; where the memory and the history go astray; which open to other gaps inserted into other faces. There are as many holes as there are lost subjects. Yet, the faces get reunited; they emerge from under the damaged layers. So, here we speak of the construction of generation and thereby ‘worklessness’ (see Blanchot) involved in the very construction of the work and its subjects. It thus seems that Erol Eskici takes the side of the negative in order to castrate patriarchal fantasies of the Nation-State which reduces the individual to a mask. Considering the weight of history -in Turkey and elsewhere- with its multiple exploitations against the structure-architecture of the ideology of language, these are eminently violent images.

 

Thus, the subject is at the heart of the work. “Construction of the Family” pursues this question in another way: It is another type of relationship with generation and social group. A collection of paintings hung symmetrically, building an almost anecdotal family stability; an apparent solidarity of subjects rejoined to the community that defines them. Perhaps it is the exposure of an ironic and macabre structure where the phallic space of the masculine construction goes with the dictated rules of the genealogy, from birth to death. The inevitability reigns in this set which can be humorous too: A simple ball (the bubble-man), and a kind of breath make fun of this row of spectra (mostly male). Here again, the social content is painfully pressing on the back of the subject, who can presumably only murmur, or just let out a vaporous and formless cloud.

 

Now let us talk about critical philosophy, a field that Erol Eskici puts forward in his reading of artistic and social realities. Thus, the concept of dispositif, claimed by the artist, can give us some keys to understand his images better. According to Foucault, and Agamben after him, the dispositifs are all these power structures; institutions, schools, discipline, armies which socially organize the bodies of individuals by certain types of constraints and/or relationships. The dispositif is in the heart of the critical sensitivity of Eskici. Indeed, to go a little further, what he retains from the concept of dispositif is, I believe, its binding relationship with the childhood and its submission to the dictates of the ideology of the adult world; the necessary reconstruction of childhood could, thus, be done in the art (‘Reconstructing childhood: A critique of the ideology of adulthood’, Ashis Nandy). Therefore, most of the images produced by the artist interrogate the dispositif -a concept dear to him as he inserts the notion of power into intersubjective relations- while highlighting the urgency of the reconstruction of childhood. And it is here that we see the burden of refreshed memory and childhood as a political universe per se. If childhood is the subject of a representation dominated by adults, then art must rebuild the world of childhood without adults. Thus, the anamorphic face can be seen as a metaphor of a stretching or even the distortion of childhood by the ideology or dispositif, and its necessary reconstruction by the artist. The miniature representation of certain characters (wall-fence, Sisyphus...) or on the contrary, the shifted scale between certain characters within their context (“Nostomania”) can be understood through the lens of childhood confronting adulthood: There often prevails a relationship of fracture. So do the eyes of this little girl behind her gloomy window in a dilapidated house, facing the frozen bird. The “Nostomania” series (a term used for the abnormal form of nostalgia, an irrepressible desire to return to live in the place where one’s childhood was spent) is quite close to a nightmare and its uncanny strangeness.

 

Another motif with political echoes and haunted by the world of childhood is Architecture. “Sublime”, “The anamorphic architecture of fascism”, “Construction generation”, “Nostomania”, “Unititled”... In all of these works, that motif takes different forms. One time, the architecture appears as a gigantic tower (reminiscent of the Tower of Babel); another time it stands as a pre-fascist building erasing personality of individual (it might evoke the neoclassical architect Étienne-Louis Boullée). In another painting it triumphs as a temple-prison overlooking the hill (a kind of Kafkaesque castle); or, it is established in a set of Hindu temple columns, becoming a mental sanctuary and accumulation of time’s sediments. However, it can also show itself as hut or lodge lost in the woods; a dollhouse or a disasterous ruin; and finally it is built as a maze and tracery (a much more abstract construction), a scheme punctuating this wide range of buildings. Architecture is, therefore, used as a representation of power, order, law, the adult world and their ideology. Impregnable walls. Unyielding citadels. Inaccessible mountains or towers. Irresolvable networks. (see the text of George Bataille written in 1929 on architecture as the opposite order to the multitude (1)). And, given that, in opposition to this State architecture, we have architecture as a child refuge and as in Blanchot’s “The Writing of Disaster” it is an aperture towards the wild land, ruin and nature, cohabiting with darkness and its nocturnal story. The construction is therefore linked to the dispositif. The tower or the myth of Sisyphus, are both references to the world of order and to the inclusive institution. The doll house is, in turn, nestled in tall grass or in the shaky nest of a bird. Much more fragile, much more intimate. All of these buildings form a coherent whole, based on the dialectic of refuge and exclusion. It is, all at once, the inclusive basis of the institutions "that capture everyone's time" and excludes the individual from the institution's time (see Hoffman among artist’s references). But they are also niches of protection and a reconstruction of an alienated or excluded individual identity.

 

Erol Eskici’s images open a graphic know-how based on the patience of the development of structures and niches invaded by the depths of the shadows and lit by the place of the subject. Reflecting on ideology and power, he constantly looks to the place of the individual in more or less ruined, dark, unstable shelters –which are somehow all protectors. Not impenetrable cocoons but melancholic bubbles, struggling against transparency.

 

In this exhibition, let us not deceive ourselves; the bases are literary as well as pictorial. We can understand this, with a detour, through the writings of Maurice Blanchot and his reflections on creation. It reminds me of the notion of worklessness, considered by Blanchot as a kind of writing developed by the retirement of the work and its nocturnal disaster (2); which does not prevent the work, since there may be worklessnes in the very act of creating the work.

 

     Ludovic Bernhardt

     January 2015, Istanbul

 

 

(1) “Thus the great monuments rise like dikes, opposing the logic of majesty and authority for all disorders elements: it is in the form of cathedrals and palaces that the Church or the State address to and impose silence on the multitudes. It is obvious, in fact, that monuments inspire social wisdom, and often, a real fear. The storming of the Bastille is symbolic of this situation: it is difficult to explain this crowd movement by something other than animosity of the people against the monuments which are their true masters.” Georges Bataille, ‘Architecture’ part in his ‘Dictionnaire critique’, 1929

 

(2) “Calm block fallen here from some dark disaster”, ‘The Tomb of Edgar Allan Poe’, Stéphane Mallarmé

NOSTOMANIA

 

Texte écrit pour l'exposition d'Erol Eskici, Nostomania

2015

Galerie Sanatorium, Istanbul


La peinture d’Erol Eskici se déchiffre comme une parole discrète, prononcée à mi-mot, loin des tapages édulcorés de l’art. Elle contient nombres de bruits secrets relevant d’un vocabulaire légèrement narratif, souvent énigmatique, comme peut l’être celui d’un enfant. lorsque le visiteur s’approche de ces bruissements, apparaît alors une zone d’obscurité sonore ; un bruit sourd, à la fois proche et lointain, émis par l’invisibilité même, contre le fait social et ses structures infiniment oppressives. Un contenu politique, donc, sans aucun doute, à l’intérieur même de cette densité ténébreuse.


Prenons l’ensemble des portraits appartenant à la série “construction des générations - sujets”. Ce travail est basé sur l’utilisation de photographies d’élèves récupérées dans un palmarès scolaire des années 80. À partir de ce document, Erol Eskici élabore une galerie de portraits peints, ancrés dans le passé récent d’une nation turque chargée d’idéologie. Le choix de ce palmarès par l’artiste est dû à son substrat politique, arme efficace d’un nationalisme écrasant la jeunesse. La singularité de ces images vient des découpes, des trous effectués par Erol dans les visages de ces enfants épinglés  par l’institution. Ces béances sont des gouffres dans lesquels le regardeur et les sujets sont perdus, où la mémoire et l’histoire s’égarent, et qui ouvrent vers d’autres béances insérées dans d’autres visages ; autant de trous que de sujets perdus. Et pourtant, les visages se retrouvent, se révèlent sous ces couches abîmées. Nous parlons donc de construction de générations et par là-même de désoeuvrement impliqué dans la construction même de l’oeuvre et des sujets. Il me semble ainsi qu’Erol prend le parti du négatif afin de rogner les fantasmes patriarcaux de l’Etat-Nation et de son idéologie réduisant l’individu à un masque. Images éminemment violentes, si l’on regarde le poids de l’histoire et de ses multiples instrumentalisations, en Turquie ou ailleurs, armées contre la structure-architecture du langage de l’idéologie.


Ainsi, la place du sujet est au coeur de l’oeuvre. La “Construction de la famille” poursuit cette question d’une autre manière : autre type de relation à la génération et au groupe social. Un ensemble de tableaux accrochés symétriquement, construisant une stabilité familiale, presque anecdotique, une solidarité apparente de sujets raliés à la communauté qui les définit. Peut-être est-ce l’exposition d’une structure ironico-macabre où l’espace phallique de la construction masculine s’associe aux règles dictées de la généalogie, de la naissance à la mort. Une fatalité règne dans cet ensemble non dénué d’humour ; un simple ballon ( homme-bulle ), une sorte de respiration, pour plaisanter face à cette rangée de spectres (la plupart masculins). Encore ici le contenu social se fonde en appuyant douloureusement sur le dos du sujet, qui ne peut, vraisemblablement, que murmurer, ou bien juste laisser échapper un nuage vaporeux et informe.


Parlons de philosophie critique, domaine que l’artiste privilégie dans sa lecture du fait artistique et social. Ainsi le concept de dispositif peut nous donner quelques clés pour la compréhension de ses images. Selon Foucault, et apres lui Agamben, les dispositifs sont toutes ces structures de pouvoir, institutions, écoles, conduites, disciplines, armées, organisant socialement les corps des individus par certaines formes de contraintes et de relations. Le dispositif est au coeur  de la sensibilité critique d’Erol. En effet, pour aller un peu plus loin, ce qu’Erol retient du concept de dispositif, est, il me semble, sa relation contraignante avec le monde de l’enfance et de sa soumission au dictat de l’idéologie du monde adulte ; la nécessaire reconstruction du monde de l’enfance peut s’effectuer alors dans l’art (Reconstructing childhood: a critique of the ideology of adulthood, Ashis nandy). Ainsi, la plupart des images produites par l’artiste interrogent le dispositif - concept qui lui est cher tant il inscrit la notion de pouvoir dans les relations intersubjectives - tout en développant l’urgence d’une reconstruction de l’enfance. Et c’est ici que nous voyons la charge de la mémoire actualisée et de l’enfance comme monde politique en soi. Si l’enfance est le sujet d’une représentation dominée par l’adulte, alors l’art, se doit de reconstruire le monde de l’enfance, sans l’adulte. Ainsi l’anamorphose (visage anamorphique) peut être vu comme métaphore d’un certain étirement voir d’une déformation de l’enfance par l’idéologie, et de sa nécessaire reconstruction par l’artiste. La représentation miniature de certains personnages (mur-palissade, Sisyphe...) ou au contraire le jeu d’échelle décalé entre les personnages et leur contexte ( Nostomania ) peuvent être appréciés dans cette perspective du monde de l’enfance confronté à celui de l’adulte : Il y règne souvent une relation de fracture, de malaise, voir de deuil. Ainsi le regard de cette petite fille derrière sa fenêtre lugubre dans sa maison délabrée, dirigé vers l’oiseau figé. La série Nostomania est assez proche du cauchemard, du désoeuvrement nocturne et de son “inquiétante étrangeté”.


Autre motif à résonance politique, hanté par le monde de l’enfance : L’architecture. Sublime, The anamorphic architecture of fascisme, Construction generation, Nostomania, Unititled. Dans l’ensemble de ces oeuvres, ce motif prend des formes relativement opposées. Une fois, l’architecture s’impose comme tour gigantesque ( faisant penser à la Tour de Babel ) ; une autre fois elle s’érige comme édifice pré-fasciste effaçant la personnalité ( peut-être évocation de l’architecte néo classique Étienne-Louis Boullée) ; dans une autre peinture elle triomphe comme temple-prison dominant la colline ( sorte de chateau Kafkaien ) ; ou bien, elle s’établit dans un ensemble de colonnes de temple indous, alignées ou rayonnantes, devenant sanctuaire mental et accumulation sédiments du temps. Cependant, elle peut aussi se donner à voir comme cabane ou pavillon perdu dans les bois ; maison de poupée ou bien ruine sinistrée ; Et enfin elle se construit comme labyrinthe (construction beaucoup plus abstraite) schéma ponctuant ce large éventail d’édifices. L’architecture, donc, comme représentation du pouvoir, de l’ordre, de la loi, du monde des adultes et de leur idéologie. Murs imprenables. Citadelles inexpugnables. Monts ou tours inaccessibles. Réseaux indénouables. (voir le texte de 1929 de G. Bataille sur l’architecture comme l’ordre opposé a la multitude (1) ). Et, face à cela, en opposition à cette architecture Etatique, l’architecture comme refuge de l’enfance et “Ecriture du désastre” : Ouverture sur le terrain sauvage, la ruine et la nature, cohabitants avec l’obscurité et son récit nocturne.

La construction est alors liée au dispositif. La tour de Babel, le mythe de Sisyphe, sont autant de références au monde de l’ordre et de l’institution englobante. La maison-jouet,  l’opposé, est, quant à elle, nichée dans les hautes herbes ou dans le nid bancal d’un pinson. Bien plus fragile, bien plus intime. Tous ces édifices constituent un ensemble cohérent, basé sur la dialectique du refuge et de l’exclusion. A la fois domaine de l’assise englobante des institutions “qui capturent le temps de chacun” et excluent l’individu du temps de l’institution (cf. Hoffman que l’artiste cite dans ses références). Mais aussi niches de protection et de reconstruction d’une identité individuelle aliénée.


Les images d’Erol Eskici ouvrent un savoir-faire graphique basé sur la patience de l’élaboration de structures et de niches envahies par les profondeurs de l’ombre. Méditant sur l’idéologie et le pouvoir, il ne cesse de réfléchir à la place de l’individu dans des refuges plus ou moins ruinés, obscures, instables, mais sommes toutes protecteurs. Non pas des cocons hermétiques, mais des bulles mélancoliques et fragiles, luttant contre la transparence.

 

Dans cette exposition, ne nous y trompons pas, les bases sont autant picturales que littéraires. Nous pouvons ainsi la comprendre en faisant un détour par les écrits de M. Blanchot et ses réflexions sur la création. Me vient ainsi à l’esprit la notion de désoeuvrement, considérée par Blanchot comme une sorte d’élaboration d’écriture par l’absence de l’oeuvre et par son désastre nocturne (2) ; ce qui n’empêche paradoxalement pas l’oeuvre, puisqu’il peut y avoir désoeuvrement dans l’acte même de créer l’oeuvre. Pour l’artiste turc, l’image est explorée comme phénomène situé dans les marges du texte. Elle procure une visibilité iconique qui ne manquera pas de se retirer en tant qu’oeuvre. Et c’est ici la force de son travail que de pouvoir affirmer l’image tout en la retirant dans ce que nous pouvons considérer comme une sorte de négatif : le texte, urgemment consulté dans la structure de l’oeuvre (notamment par des allusions biographiques mais aussi par des références à la pensée critique) n’échappera pas à sa contrepartie, laquelle prendra la forme d’une soustraction négative, d’un noir tout en densité, d’une vacuité sombre, d’une tonalité sourde et profonde, placés au delà du langage écrit et au-delà de l’oeuvre. Donc parfois un désoeuvrement, ou plutôt une sensation de désoeuvrement, opposée à l’apparente sensation de structure et de langage de l’ouvrage d’art.

 

     Ludovic Bernhardt

     Janvier 2015, Istanbul

 

“ Ainsi les grands monuments s'élèvent comme des digues, opposant la logique de la majesté et de l'autorité à tous les éléments troubles : c'est sous la forme des cathédrales et des palais que l'Eglise ou l'Etat s'adressent et imposent silence aux multitudes. Il est évident, en effet, que les monuments inspirent la sagesse sociale et souvent même une véritable crainte. La prise de la Bastille est symbolique de cet état de choses : il est difficile d'expliquer ce mouvement de foule, autrement que par l'animosité du peuple contre les monuments qui sont ses véritables maîtres.”

          Georges Bataille. Dans dictionnaire critique, Architecture, 1929 «

 

(2) Calme bloc ici-bas chu d'un désastre obscur », Tombeau d'Edgar  Poe. Mallarmé.

 

 

 

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